pratique de l'art

En effet

N’oublie-t-on pas trop souvent que le sujet d’une œuvre, c’est son auteur, et non le procédé qu’il emploie ? C’est ce qui se dira ici : que ni l’effet ni la démonstration de l’effet ne font une œuvre. Tout au plus une image.

Je nomme l’effet l’impression donnée par ce qui couvre la surface, ce qui l’habille, par le comportement de la matière peinte sur cette surface. Ainsi, selon la technique employée, ce serait l’auréole, la coulée, le crachis, la diffusion ou la fusion, ce serait un empâtement, une touche, une couleur ou un rapport de couleurs frappants, une découpe formelle particulière, etc. C’est l’impression de peau de crapaud de l’encre lithographique, de nuage dans le grain de l’aquatinte du graveur, de brillance d’une sculpture polie… C’est l’impact que peut avoir sur l’œil un élément de la peinture ou un procédé pictural.
Il est bien superficiel, au sens premier du terme, non péjoratif celui-ci. Il concerne la surface. Mais si l’effet n’est qu’apparence, s’il ne laisse passer aucun propos essentiel qui viendrait du dessous, on touche alors au sens figuré…

 

Effet : Procédé employé pour attirer les regards ou forcer l’attention.

Effets : Linge et vêtements d’une personne. (Cnrtl)

 

Il est un moyen, non une fin. Combien de peintres oublient cela, ou n’en n’ont pas conscience ? Ou pire : en ont conscience mais ne peuvent pas faire mieux… Oublient que dans la construction d’une phrase peinte dont l’artiste est le sujet, le geste serait le verbe, et l’effet le complément ?

Si ces attributions s’inversent, la phrase perd son sens. Si le sujet est noyé sous l’effet, est-ce par vacuité ou par discrétion ?

De même que certains vêtements à l’originalité exagérément voyante et surchargée ont parfois tendance à détourner du corps (complexé ou décomplexé ?) tout en attirant l’attention. Que cela cache-t-il ?

Combien d’artistes?* se reposent sur l’effet ostentatoire et facile apporté jusqu’à l’esbroufe par tel médium, telle couleur ou rapport de couleur, tel produit, tel geste, telle matière, telle manière ? Combien se complaisent dans ces effets ? Autant d’artifices. Si loin de la mise à nu et de la sincérité.

Vinci n’était pas tendre envers « ceux qui, à tort et sans en être dignes, se font appeler peintres » : « il est une certaine race de peintres que leur peu de savoir oblige à se faire entretenir par la beauté de l’or et du bleu » (Traité de la peinture). Stérilité et tapage de la peinture à effets.

« Ce médium de structure convient parfaitement pour des peintures représentant des plages de sable ou des écorces d’arbres » dit ce texte de présentation d’un article dans un catalogue de produits pour les beaux-arts. Combien de marchands de ces articles pour artistes vantent les effets de ces produits ?  Vernis à craqueler, médium structurant, couleurs à paillettes, papiers spécifiques… Tout cela ne serait-il pas finalement un excellent moyen de masquer le défaut de sujet ?

Peindre sans sujet, mais pourquoi ?

Nous sommes dans l’ère de la consommation : Taine met également en cause le public, qui demanderait à l’art « des sensations imprévues et fortes, des effets nouveaux de couleurs de physionomie et de sites, des accents qui à tout prix le troublent, le piquent ou l’amusent, bref, un style qui tourne à la manière, au parti-pris et à l‘excès » (Philosophie de l’art), On sait combien certains artistes?* sont prêts à tout pour séduire le public…

De la rencontre entre un public friand de spectaculaire et des artistes sans idées mais pleins de prétention résulte cet envahissement des cimaises par les peintures à effets.

Et si comme je le pense, le sujet de la peinture est bien la peinture elle-même, évidemment enceinte de l’artiste et de son drame universel, il ne s’agit pas alors de la peinture en tant que matière et technique, mais en tant qu’énigme dans ce qu’elle suggère, apporte, dévoile, apprend, reprend, accepte, refuse, compose, détruit, assiste, délaisse, exprime, n’exprime pas. L’effet démonstratif va contre le silence et contre le temps. Contre l’intimité. Contre la pensée.

 

Je crois, en tant que spectateur des œuvres, à une forme d’éveil, autant sensuel que sensible, provoqué par l’idée de l’artiste, au fond. Elle ne se présente pas à nous nue, provocante, vulgaire et immédiate, mais son effet (le vêtement pictural) devrait permettre de seulement la laisser deviner, la rendre attirante, désirable. De lui donner le temps de venir et à nous d’aller vers. Le plus simple effet, le plus léger, le plus fluide, le plus élégamment discret pour mieux suggérer et inspirer le mystère de l’idée. Le nu du sujet serait dessous, à imaginer, à inventer, individuellement.

 

*pour cette orthographe personnelle du mot artiste?, voir article https://laurent-noel.com/idees-courtes-29/  (15ème idée courte)

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