Performance, dit-on. Un évènement, dit-on. Un peintre devant le public convié engage une toile. Le public réagit : ébahi, soufflé, bouche bée. La peinture comme un spectacle. Le public applaudit.
Le mensonge du geste, l’artifice devant l’assistance. Rien ne va. La peinture est un acte solitaire, isolé, précaire, et par nature voué à l’échec. La véritable performance serait de le montrer. Mais ce n’est pas vendeur. Le générique du film de Clouzot montrant Picasso peignant le dit clairement : le temps du film n’a rien voir avec le temps du peintre au travail. Coupé au montage, sélection des rushes, resserré. Mais prend soin tout de même de montrer l’impasse, le revirement, l’effacement, le découragement. Et la caméra sait se faire oublier. Pas le public.
Performance vernissage mondanité. Rien à voir, vous auriez dû circuler. Rien à voir avec la peinture, celle du fond de l’atelier, des luttes inégales, celle des jurons, du désespoir et de la déception, de la trouvaille et de l’astuce, du déséquilibre, de l’insaisissable, du rare enchantement.
Performance artifice mensonge, on l’accompagne parfois de musique, de chant ou de danse, pour faire joli, pour enrober, pour plaire, pour être dans le vent du temps. Pour couvrir le silence de la peinture.
Performance pour gobe-mouches, admiratifs d’un geste mille fois répété, d’un savoir et d’une manière maîtrisée. Il n’y aura pas de surprise, et pas de risque, contrairement aux apparences. Tromperie, canular de la performance. Public dupé, ravi de l’être.
Crédules, gogos.
Autant que les touristes admirant le peintre oriental exécuter d’un geste sûr sa calligraphie mille fois tracée.
Pourquoi ne pas faire un spectacle performance d’un chirurgien opérant, d’un boulanger pétrissant, d’un pompier dans le brasier ? Tous, comme le peintre, connaissent les gestes du métier, admirables, tous pratiquent ces gestes dans les règles de l’art, tous doivent savoir allier connaissance, intention et improvisation, et au plus juste, sous peine de catastrophe. Tous jouent leur vie, et certains jouent la vie des autres. Il y aurait là, vraiment, lieu d’applaudir. Le peintre aurait-il quelque chose en plus ? Certainement pas. Revenons sur terre. Le peintre, seul, absolument seul, n’a que ses yeux pour se regarder faire, et c’est sous le regard impitoyable de lui-même sur lui-même qu’il trouvera une issue fragile qui retardera l’échec. Jamais sous le regard d’un public séduit et abêti par le spectaculaire, qui se fera une image totalement erronée de ce qu’est la peinture vraie, celle du fond de l’atelier, image de l’artiste dangereusement idéalisée qu’il s’empressera de colporter, plein d’admiration irréfléchie, béate. Aucun risque (ou si peu, tellement moins que dans le clos de l’atelier) dans ces performances impostures, dans ces menteries évènementielles, sauf peut-être celui de susciter le mépris chez quelques-uns, qui ne jouent pas ce jeu-là. Mépris pour cette cause déjà entendue d’un spectacle bien rodé. À la fin, tout est en ordre : ego du peintre satisfait et ravissement du public qui sortira de là plein de la certitude d’avoir vécu un moment privilégié.
Non, la solitude ne se donne pas en spectacle.