Au Musée d’Orsay, intéressant accrochage thématique d’œuvres ayant été fréquentées des yeux et de la pensée par Huysmans, éreintées ou louées selon ses humeurs, ses goûts, sa réflexion, l’évolution de son regard et de ses convictions sur les ramifications de l’art de l’époque.
En ces temps actuels où la peinture s’expose autant dans les lieux physiques qu’au travers des réseaux sociaux, la moindre critique publiée sur ces derniers, aussi argumentée soit-elle, passe pour un acte de malveillance ; la moindre remarque qui émettrait une réserve, le moindre jugement défavorable, ou seulement ironique, postés en commentaire d’une œuvre, deviennent pour son auteur et ses (faux) amis — qui souvent lèvent une armée derrière l’artiste égratigné — une insulte alors qu’il n’y a là, me semble-t-il, qu’une (saine) réaction à ce qui est étalé au grand jour sur l’Internet sans discernement aucun. Oui, la critique est mal en point en ces temps de dangereuse bienveillance dégoulinante et hypocrite envahissant les réseaux sociaux, bienveillance aussi dangereuse que le déversement haineux qui y règne également. Où est la mesure ?
Il est bon, par conséquent, salutaire, même, de lire les flèches empoisonnées de Huysmans à l’endroit de certains artistes se montrant dans les salons de l’époque, tout autant que les louanges adressés à ceux qu’il fait figurer dans son musée personnel. À lire ou relire, donc, de toute urgence, L’art moderne, par exemple, ou Certains, où il rend compte de salons officiels, ou traite de certains artistes. Les textes ont de plus la correction d’être particulièrement bien tournés. Qu’il soit mordant, indulgent ou laudateur, l’écriture de Huysmans est toujours d’une riche saveur.
L’exposition d’Orsay fait se côtoyer, entre autres, Bouguereau et Manet, Pelez et Caillebotte… Autant dire que l’accrochage est contrasté ! De nombreuses toiles de cet ensemble proviennent du Musée d’Orsay même, mais leur réunion inédite autour de Huysmans nous en offre une lecture passionnante, éclairante. Ainsi des Redon (remarquable série de lithographies), Manet, Degas, l’inépuisable aquarelle de Moreau l’Apparition, les affreusetés de Bouguereau, une aérienne composition de Whistler et bien d’autres. Au-delà de la notion de critique, l’exposition pose la question du sujet en peinture en montrant, s’il en était besoin, que l’anecdote est souvent vaine (ainsi certaines peintures d’histoire), et comment l’essoufflement du naturalisme a pu conduire au « décadentisme », enrichi de la force expressive de l’artiste, loin du souci de plaire.
L’ensemble est accompagné de cartels livrant des extraits de textes de l’écrivain et fournissant des éclairages importants sur ses points de vue. À ce propos, et puisque la critique est à l’honneur, il m’a paru intéressant de regarder également les visiteurs évoluer dans les salles et de constater combien ignorent ou méprisent les cartels, rebutés sans doute par toutes ces lettres, tous ces mots et toutes ces phrases, combien manifestement ne saisissent pas le sens de l’accrochage, se demandant pourquoi de telles proximités, de telles associations, de tels voisinages muraux ! Par ailleurs, participent à l’égarement d’une partie du public les interventions de l’artiste contemporain de service, Vezzoli, qui doit considérer que les lecteurs d’À rebours sont idiots et n’ont aucune imagination, puisqu’il a cru bon de reproduire en volume de la façon la plus brillamment vulgaire, kitsch et inutile la tortue sertie de diamants de des Esseintes, personnage central du roman. Bien sûr, il faut comprendre, avec cette tortue outrageusement bling bling et la triple reproduction du retable d’Issenheim en fin d’exposition, qu’il cligne de l’œil vers la décadence de l’époque de Huysmans. Mais d’une part, cette décadence contemporaine semble terriblement moins fertile, car elle n’est finalement qu’académisme et lieux communs, et d’autre part cela crée une confusion dans une présentation d’un abord déjà difficile et exigeant par son sujet. Y a-t-il un critique d’art dans la salle ?