humeur

Faire-part d’oubli (mort d’artiste)

« Un artiste, c’est quelqu’un qui écrit son testament tous les jours. Riez, que diable. »

Louis Pons Connivences secrètes, éditions Fata Morgana

 

C’est un constat amer, désenchanté : les arts (dits) visuels sont le parent pauvre de la culture en France. On le voit clairement en cette période d’empêchement des artistes, de tous les artistes, dans laquelle seuls sont mis en avant ceux des arts du spectacle, cinéma, théâtre, danse, musique, spectacle (dit) vivant. Force est de relever ce dédain pour les arts visuels, même dans la mort.

À propos, elle a emporté Louis Pons récemment, le saviez-vous ?

 

Il ne s’agit pas d’espérer ici, pour lui, un battage nécrologique indécent comme celui que l’on a vu et voit encore sur les réseaux sociaux à propos, par exemple, du décès récent de Jean-Pierre Bacri, qui n’en demandait sans doute pas tant. Les internautes commentateurs compulsifs ne sont pas seulement des docteurs ès tout mais ils sont aussi des fossoyeurs patentés. Ah, ça ! On en a vu des afflictions pleurnichardes sur le comédien, des hommages éplorés, des condoléances ostentatoires et de mon point de vue déplacées. Pour sa part de mort, Louis Pons n’a eu droit à rien ou presque, nulle part ou presque. Pas un signe, pas un regret, pas une évocation. Est-ce parce qu’il est mort vieux ? Je ne le pense pas. C’est qu’il était discret, qu’il était d’abord dessinateur (le dessin : art secret s’il en est), puis assembleur d’objets et de mots (ce qui n’est pas un métier, sans doute) et qu’il faisait partie d’une classe d’artistes indépendants, obstinés, inébranlables dans leurs cheminements. De la trempe effacée des Fred Deux, Cécile Reims, et de bien d’autres. Loin de ces artistes plasticiens bruyants, arrogants, dont l’art est un spectacle, une foire.

Les membres de cette corporation des arts (dits) vivants, acteurs, musiciens, etc. lorsqu’ils s’expriment et revendiquent, plus ou moins révoltés, et à juste titre, par les mesures iniques des dirigeants envers la création, oublient eux-mêmes d’associer les artistes auteurs d’œuvres plastiques, peintres, dessinateurs, sculpteurs, photographes, graveurs, maintenus à part du soutien général, autant gouvernemental que populaire.

 

Au cinéma, au théâtre, au concert, à la télévision bien sûr, ils sont là les artistes, nulle part ailleurs. Les autres, perdus au fond de leurs ateliers, sans vitrine, sans porte-voix, n’existent pas, pas davantage lorsqu’ils meurent. C’est sans doute la raison pour laquelle on les laisse s’éloigner sans ciller, puisque même de leur mort, ils n’en feront pas de bruit.

 

Mort silencieuse qui ne fait que confirmer ce mépris pour les artistes (dits) visuels. Mort muette qui ne servira même pas à le faire connaître un peu plus, un peu mieux. Je ne suis pas de ceux qui lisent un écrivain dès qu’il meure, qui écoute une musique quand son compositeur ou son interprète quitte la scène du monde. Je n’ai pas attendu que Pons s’éclipse pour le lire et le relire, entrer dans la maille noire de son dessin, dans l’univers tragique et poétique de ses assemblages, de goûter l’intelligence et la saveur de sa pensée, de ses aphorismes. J’espérais seulement que d’autres le feraient, puisque pour beaucoup, l’annonce d’une mort est une occasion de (re)découverte.

Je me console en portant au fond de moi la fierté de faire partie d’un cercle de privilégiés : ceux avec qui Louis Pons a partagé son art.

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