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Réflexions printanières sur les Hivernales

 

“Nous nous sommes déjà rencontrés, non  ? Aux Hivernales je crois, c’est bien ça ?”

C’est la question que me lance l’autre jour un faux galeriste et véritable imposteur lors d’un rendez-vous qu’il m’avait proposé, tout “intéressé par mon travail” qu’il était. Je ne me reconnais pas, je suis d’habitude plus méfiant : je ne l’avais évidemment rencontré nulle part. Il ne cherchait qu’à me vendre des prestations ronflantes, expositions partout en France et à l’étranger, avec retombées assurées, disait-il. Nos chemins ne se croiseront pas deux fois.  L’intéressant pourtant dans cette histoire, c’est qu’il a donc, par sa question, implicitement avoué démarcher (chercher des artistes susceptibles de tomber dans son panneau) dans diverses expositions de groupes  et en particulier lors de ces fameuses Hivernales.

Nous ne tenons pas là, cette fois encore, le salon idéal. La “Maison des Artistes” a eu l’opportunité de contribuer à organiser et promouvoir  en décembre dernier cette nouvelle manifestation artistique, qui s’est tenue au Palais des Congrès de Paris-Est de Montreuil (Seine St Denis),  grâce à un riche homme d’affaire qui a proposé la mise à disposition gratuite de l’espace pour quelques jours. De là, l’idée a germé  qu’un salon pourrait s’y tenir,

“dans un lieu véritablement adapté, parfaitement accessible et pour un coût imbattable, [où] les plasticiens de toutes sensibilités pourront présenter leurs œuvres, échanger, dialoguer, débattre et manifester leur solidarité. En partenariat avec la Maison des Artistes, cette nouvelle manifestation internationale dressera le panorama des expressions plastiques contemporaines : peinture, sculpture, gravure, dessin, photographie, art mural, architecture, céramique, arts du feu, livre d’artiste, illustration, art numérique, design, bande dessinée, street art, vidéo-art, et installations… seront de la fête ! Une rencontre inédite qui témoignera de la diversité, du dynamisme, de la tonicité des créateurs venus de tous horizons.”

Parfait dans l’intention. Passons aux faits : la Maison des Artistes est  ce qui se fait de mieux actuellement pour défendre les créateurs dans leur diversité et dans leur statut social. Mais cette diversité  est telle qu’elle touche parfois au contraire même de ce qui me semble relever de la création. Dans la réalité, assujettissement et affiliation n’exigent pas nécessairement force et engagements créatifs véritables et profonds, pas plus qu’un certain niveau de qualité du travail artistique, autant de notions  évidemment non mesurables. Seul compte le revenu, que certains tirent d’un travail à la manivelle ou en peignant le dimanche seulement.

Malgré  l’article satisfait de Nicole Esterolle dans son blog (article ici, que la MdA ne se prive pas de relayer pour la promotion de la prochaine édition) à propos de ce salon, la  “reconstruction de vrais  critères d’évaluation esthétique” ne devrait pas aboutir à  ce mélange improbable de croûtes et de créations authentiques, résultat d’une offre tentante : chaque artiste doit débourser 110 euros par œuvre, jusqu’à concurrence de dix, pour un  grand week-end d’exposition, 900 exposants ayant été retenus. La sélection est faite par les artistes eux-mêmes, en tous cas ceux inscrits à la maison des artistes, dans une sorte d’agora participative par le biais du site internet…

Une remarque : N. Esterolle, entre autres contentements devant les Hivernales, se réjouit dans son article d’avoir senti dans cette manifestation un nouveau mouvement  émerger,  le “happy art”, dont elle dresse le portrait : “enjoué, coloré, positif, qui se démarque de l’esthétique dominante [qui] fait plutôt dans la questionnite pathos, déprimante, l’angoisse, le morbide et le catastrophisme spectaculaires”.  Sont-ils visés les Bosch, le  Gréco, Rembrandt et ses enfants artistiques (Soutine, etc.) ? Sont-elles visées ces  peintures religieuses dont le catastrophisme, la morbidité et la violence spectaculaires ne sont pas à démontrer ? Et les expressionnistes,  les romantiques, et Morandi, Freud,  Bacon, Fautrier, et leurs descendants neurasthéniques, désespérés ou seulement inquiets ? Cette bloggeuse réjouie est-elle allée visiter la récente exposition “l’art et la guerre” du Musée d’art moderne de la Ville de Paris ? Elle regarderait peut-être alors ses Lou Ravi d’artistes d’un œil différent… Le fait même de créer est positif, quels que soient les circonstances et les sujets.

Mais revenons à nos Hivernales : il existe bel et bien aujourd’hui un amateurisme professionnel. Et c’est bien à cause d’un système qui tient compte, pour définir le statut (administratif) d’artiste, uniquement du chiffre d’affaire et/ou d’un  très vague curriculum vitae qui, le sait-on ?, est totalement invérifiable et gonflable à volonté. Les galeries “immobilières” y contribuent largement, mais aussi les milliers de salons locaux et  régionaux qui se passent de toute réflexion sur l’art et ne savent pas (ou ne veulent pas) s’entourer de conseils avisés.

La question est pourtant bien posée, elle concerne effectivement les critères d’évaluation esthétique. Mais qui accepterait de les établir et de les faire valoir ? Qui constituerait le collège qui statuerait sur ces critères ? Il y aurait évidemment trop de mécontentement parmi les artistes sans art, qui ont pourtant le mérite d’apporter les devises nécessaires à l’organisation de tels salons.

Le problème est immense, définitivement irrésolu, puisqu’il se nourrit de la subjectivité, des influences,  intérêts, conflits idéologiques, notions philosophiques instables liées aux époques et aux mouvements de l’art, donc évidemment discutables, mais aussi de l’ignorance, de l’étroitesse, paresse, auto-satisfaction et facilité.

Le salut est peut-être chez le spectateur, s’il accepte de se forger sa propre définition de l’art et de l’artiste, en toute honnêteté et en toute exigence. Mais pour nourrir sa réflexion, quelles expositions lui propose-t-on ?

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