dessin

Le dessin sur tout, surtout

Remarqué dans le flux internet un appel à candidature pour une participation à un salon consacré au dessin, appel dont les termes et les conditions m’ont aussitôt intéressé. Mon travail actuel très graphique, agissant sur l’espace, le mouvement et le temps, me semblait correspondre aux propositions attendues. Je constitue alors un dossier documenté, mais à la relecture de l’appel, je m’aperçois qu’entre les lignes on y parle de « support papier ». Or la plupart des travaux que je souhaite proposer sont réalisés sur toile. Prudent, je téléphone à qui de droit. On me répond —avec hésitation— que, a priori, le papier est privilégié, mais que je peux tout de même tenter ma chance. Ce que je fais illico. Quelques semaines plus tard, réponse contenant refus.

Percevant là une question importante, je fais des recherches sur les définitions du dessin, qui confirment mes présomptions sur le sujet :

-Dans son sens le plus absolu, c’est l’ensemble graphique laissé par un marqueur quelconque sur un support quelconque dans un but intentionnel d’expression. (André Béguin[1])

-Représentation ou suggestion des objets sur une surface, à l’aide de moyens graphiques. (Le Robert)

-Représentation sur une surface de la forme (et éventuellement des valeurs de lumière et d’ombre) d’un objet ou d’une figure, plutôt que de leur couleur. (Larousse)

-Art de représenter des objets (ou des idées, des sensations) par des moyens graphiques; p. méton., ensemble des procédés relatifs à cet art. (CNTRL)

-Le support est le plus souvent du papier, mais peut être toute autre matière (Wikipédia)

-Etc.

En m’intéressant alors à d’autres manifestations consacrées à cette discipline, je constate que la plupart font référence au papier tout en se présentant comme des évènements liés au dessin contemporain : les arts papiers, Drawing ceci, Drawing cela, Art paper, Soul paper, etc.  Papier, papier, papier, pas dessin, dessin, dessin…  Ils ne s’adressent donc pas à des artistes qui dessinent, mais bien à des artistes qui travaillent sur papier, ce qui est fort différent. Certains emploient d’ailleurs sur ces papiers des techniques picturales, huile, gouache, acrylique, etc. qui selon moi  éloignent l’œuvre d’une classification liée au dessin, puisqu’il faut classer !

La question se pose donc clairement et les réponses seront bienvenues : comment faire valoir son travail dessiné dans des manifestations consacrées au dessin alors que l’on s’exprime sur toile ?

 

L’art pariétal, plutôt graphique, nous laisse des dessins réalisés avec des médiums annonçant la sanguine ou le fusain. L’histoire de l’art est nourrie de dessins sur bois, sur pierre, sur tissu, sur verre, sur carton, etc. Je ne dessine pas sur toile pour être original, pour me démarquer, mais parce que ce support, de par sa trame, sa tension sur le châssis ou son mouvement flottant quand il en est libéré, le son qu’il émet au passage des outils, comme une voix, sa teinte aussi, répond à ce que mon geste réclame, correspond à mon expression.  Il accueille le fusain, l’encre ou la pierre noire d’une manière que le papier n’offre pas. Pas de jugement de valeur ici, seulement une recherche d’adéquation entre la main, le médium et le support. Cela rejoint une idée que je défends depuis toujours : le dessin ne doit pas sembler avoir été appliqué sur le support, mais plutôt venir de celui-ci, en naître, lui appartenir, naturellement, faire corps avec lui, quel qu’il soit.

Étonnant de lire en exergue sur une page du site de l’organisation du salon évoqué plus haut quelques lignes qui rappellent la multiplicité des surfaces qui ont de tous temps accueilli le dessin, alors que la même organisation semble écarter les œuvres réalisées sur autre chose que du papier.

 

Mais je m’emporte : le refus de mon dossier n’ayant pas été argumenté ou commenté, rien ne dit qu’il soit dû au fait que les dessins aient été réalisés sur toile. Peut-être mon travail, indépendamment du support employé, n’a-t-il tout simplement pas plu au jury. Peu importe, ce refus aura permis de soulever et de partager cette interrogation : le dessin d’aujourd’hui doit-il être réalisé sur papier pour être reconnu comme tel, ce que laissent entendre la plupart des manifestations qui lui sont consacrées ?

 

[1] Dictionnaire technique du dessin, André Béguin, Vander, 1997

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