C’est cette dernière catégorie qui retient ici mon attention. Les fonctionnements, les manières de vivre avec son art, pour un amateur, sont sujets à grandes confusions pour le public, entre la pratique amateur, semi-amateur (semi-professionnelle ?), ou professionnelle. Comment un visiteur des expositions de groupe (individuelles, aussi) peut-il s’y retrouver dans ce mélange incroyable de lieux communs et d’inventions, de plagiats éhontés et de filiations naturelles, et dans des niveaux de prix difficilement compréhensibles ? Confusion aussi pour certains amateurs qui ne savent pas où se situer ni comment mener leurs éventuels projets de professionnalisation, confusion enfin, et surtout irritation pour les artistes professionnels qui acceptent mal ce qui leur semble être une concurrence déloyale, quand ils constatent les disparités, les inégalités de charges et d’obligations pesant sur eux et sur les amateurs…
Ces réflexions me sont venues au fil de nombreuses conversations et échanges animés autour des salons, des pratiques amateurs, des revendications des artistes professionnels, et il m’a paru nécessaire de clarifier ma position à ce propos.
Pour essayer de s’y retrouver je propose de séparer la pratique de l’art de la monstration de son art. Ce sont deux temps aussi distincts qu’indissociables, et ceci n’a rien à voir avec l’amateurisme. C’est un fait pour tous les créateurs.
Parlons pratique : un sportif amateur ne transpire-t-il pas ? Pourquoi l’artiste amateur éviterait-il les efforts et les difficultés nécessaires à la création ? Sous prétexte de loisir, faudrait-il passer sur les inévitables découragements, souffrances parfois, et ne pratiquer son art que « pour le plaisir », en appliquant quelques recettes toutes prêtes à donner des images faciles et superficielles ? (Je ne le crois pas, et pour ma part, je tente, en enseignant, de transmettre autant les joies et les satisfactions de la création que ses énormes difficultés, tâtonnements, impasses, obstacles, piétinements, etc.). Il n’y a aucune raison pour que l’amateur ignore ce qu’est véritablement le travail artistique, il ne faut pas lui mentir. C’est finalement une question d’honnêteté. Et le véritable amateur sera celui qui aura compris cela, accepté cela. Pourquoi n’aurait-on pas dans ses loisirs la même exigence que dans le reste de sa vie ? Alors, assez de ces faux artistes qui ont pour seule ambition de fabriquer sans effort une œuvre qu’on aura déjà certainement vue quelques milliers de fois, et d’aussitôt vouloir l’exposer parce que, quand on a fait une peinture sur toile, qu’une gravure est sortie de la presse, ou qu’une terre est cuite, ça y est, on est artiste et il est temps d’aller se faire mousser. Tant de (faux) peintres font plus d’efforts pour exposer que pour peindre…
L’amateur, et c’est bien normal, cherche quelquefois à exposer. Souvent, même, si l’on en juge par le nombre de salons leur permettant un accrochage. Il y a une réelle demande. Rien de répréhensible, aucune raison de le blâmer, cet acte est indispensable dans le travail : comment savoir, sinon, si l’image passe la barrière d’un autre regard ? Il faut confier l’œuvre aux autres, pour en savoir plus, pour en savoir autrement. Mais il faudrait aussi avoir l’esprit d’autocritique assez affuté pour estimer que montrer est envisageable…
Il est en tous cas très important que des lieux d’exposition accueillant les amateurs existent.
Je n’ai donc rien a priori contre les salons, au contraire. Ils ont une fonction d’utilité publique et reconnue : ils permettent à des amateurs, purs, et simples, de montrer leur travail, ils proposent à des amateurs plus chevronnés de tenter une présentation un peu plus ambitieuse, et de se confronter à des artistes plus professionnels, enfin, pourquoi pas, à des professionnels d’exposer sans grands risques. Mais ils permettent aussi malheureusement à des amateurs moins purs et moins simples de flatter un ego construit sur bien peu, des amateurs moins « aimants », qui trouvent là essentiellement un moyen de profit.
Les salons ont aussi l’avantage, en mélangeant tout et tout le monde, de montrer que, en termes de qualité des œuvres, certains amateurs n’ont rien à envier à des professionnels, ou qu’au contraire certains professionnels devraient s’inquiéter de la petite forme de leur talent. Mais n’y aurait-il pas un retour de bâton à ce mélange étrange ? A part l’amateur (pur, et simple) qui s’y retrouvera à coup sûr, puisqu’il bénéficiera de la vitrine de l’exposition et du voisinage d’artistes plus connus, la confusion ne sera-t-elle pas préjudiciable pour les autres ? Et le problème se complique si l’on parle des ventes…
(publication de la 2ème partie demain)