exposition

Contrôle parental

 

Figures énucléées à l’orbite sanglante, corps déchiquetés, découpés, décapités, éviscérés, scènes de torture, le rouge des plaies comme seule marque colorée dans la grisaille et la noirceur des atmosphères, des corbeaux et des rats voraces se repaissant de chair humaine, s’attaquant jusqu’à la parturiente, au  nouveau-né, voire au fœtus, l’horreur est explicite dans la peinture de Veličković. Qui peut sortir intact de la visite de l’actuelle exposition de Landerneau ?
Une des fonctions de l’art est de permettre au peintre de dire son drame, tout au moins d’essayer de le comprendre, de le côtoyer pour tenter de continuer à vivre avec lui, avec ses traces. Tous les moyens sont bons et cela fait sa richesse. Ici le drame est exprimé par une forme de complaisance dans la description des atrocités que l’homme peut infliger à l’homme. Ceci est un simple constat, sans jugement. C’est sans doute le moyen qui s’est imposé à l’artiste, malgré lui, obligé par son histoire. Inévitablement, pourtant, ma pensée est allée vers Bacon, d’une part parce qu’une certaine influence est perceptible, et d’autre part, et surtout, parce que la peinture de Bacon, réputée violente, suggère davantage qu’elle ne montre. De Bacon, Deleuze rapporte ce propos : « j’ai voulu peindre le cri plutôt que l’horreur ». Chez Veličković, l’homme a fini de crier. Reste l’horreur pure, sèche. Toute la différence est là. Il n’y a que dans les toutes dernières toiles que le cri survient, un cri étouffé, silencieux, et dans ces toiles l’horreur passe non pas à l’arrière-plan, mais à l’arrière-pensée. Et, me semble-t-il, c’est plus fort, plus profond, moins attendu, cela provoque davantage de réflexion que de dégoût ou de rejet.

Pourtant, la véritable question qui selon moi s’impose lors de cette visite est celle du regard du spectateur, et plus particulièrement celui des enfants. Car des enfants étaient là, certains âgés de moins de 5 ans, d’autres d’une dizaine d’années… Je me suis demandé comment ils pourraient recevoir et accepter la crudité de la violence de ces images. Les adultes, peuvent, indépendamment du sujet, aller chercher autre chose dans cette peinture : des éléments de composition, des remarques sur la qualité du dessin, sur la recherche du mouvement, la palette des gris et noirs, sur la touche puissante, virtuose parfois, autant de manières de se rassurer, de se détourner si besoin de l’image pure, du sujet. L’enfant n’a pas cette ressource. Il prendra l’image seule, brute et brutale, qu’elle soit une peinture, une photographie, un dessin, etc. N’importe quel film, ou jeu vidéo, est accompagné d’un avertissement pour le jeune public. Les livres pour la jeunesse sont très généralement dotés d’un conseil sur l’âge auquel ils sont destinés. Ici, rien, pas la moindre note d’avertissement, comme si la peinture était quoi qu’il arrive un art léger, facile, accessible à tous, tous âges confondus. On apprend que des écoles primaires de la région viennent visiter l’exposition. Les parents savent-ils vraiment ce que leurs enfants ont vu ? La plupart ne se méfient sans doute pas de la peinture et de l’impact qu’elle peut avoir. On sait pourtant la force des images, la marque qu’elles peuvent laisser. J’affirme que cette peinture-là peut être traumatisante. Elle est forte, elle est unique, importante, mais traumatisante, aussi. Quel parent ne se renseigne pas avant d’autoriser son enfant à regarder tel ou tel film ? Les parents qui visitent en famille cette exposition ont-ils ne serait-ce qu’une vague idée de ce que leur progéniture va y voir, et sont-ils préparés, ces parents, à répondre aux réactions provoquées par le choc ? Alors oui, si l’on veut dès qu’ils ont quatre ou cinq ans montrer la pire face du monde à ses enfants, leur dire combien l’homme est un fauve sanguinaire, si on veut leur montrer cette réalité d’un monde hyper-violent, déshumanisé, sans autre issue pour l’être humain que de finir en cadavre exsangue, démembré et dévoré par les rats, alors laissons-les se promener dans cette exposition. Ils auront raison plus tard de nous reprocher de les avoir fait naître dans ce monde abject.
De mon point de vue, un simple avertissement aurait été bienvenu dans les documents de communication et à l’entrée de la salle. Les médiateurs présents sur place ne suffiront pas, je crois, à éviter aux enfants quelques cauchemars ineffaçables, voire quelques consultations chez les psychologues.

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