Térébenthine de Carole Fives (Ed. Gallimard) : évidemment, quand j’ai lu dans la récente parution de Télérama une critique parlant d’un roman enthousiasmant qui évoquait le bannissement de la peinture de l’école des Beaux-Arts, qu’il y était question de création, de liberté, d’indépendance, de la résistance des artistes, évidemment je suis allé l’acheter. Évidemment je l’ai lu aussitôt. Les textes sur le statut de l’artiste ne sont pas légion, les romans encore moins.
Il ne m’est pas tombé des mains, non, je l’ai même lu jusqu’au bout, très vite, pour savoir jusqu’à quel point on pouvait aller dans le cliché, l’enfoncement de portes déjà bien béantes et depuis longtemps, la faiblesse de l’écriture, le vide textuel… Car ce livre sonne creux, sonne toc, n’a pas de musique, pas de son et pas d’image. Étonnamment, alors qu’il est censé tourner autour du visuel, il ne provoque pas l’imaginaire, il est froid, inerte.
Une petite originalité dans la forme, l’autrice s’adressant à son (propre) personnage dans une mise en abyme relevant cependant davantage du procédé pesant que de la trouvaille. Mais c’est finalement cohérent ; à roman pauvre, écriture pauvre. Tout y est démonstratif : sous un prétexte romanesque (trois étudiants confrontés au refoulement institutionnel de la peinture) ce texte veut faire exposé de l’histoire de l’art contemporaine et de ses tiraillements ou rebondissements. Ce n’est finalement qu’un pénible catalogue — au travers de séquences et d’échanges entre les quatre ou cinq personnages (trois étudiant.e.s et leurs professeurs) — des artistes influents sur la scène artistique depuis Duchamp, un passage en revue de leur marque de fabrique. Mais surtout, les dialogues… comment peut-on écrire des dialogues (et ils sont nombreux) aussi plats et artificiels ? Manifestement, ils ne servent qu’à évoquer les artistes, les courants artistiques qu’ils ont traversés ou initiés, ou les débats ou scandales qu’ils ont suscités, à expliquer au lecteur ignorant les mouvements et péripéties de cette histoire de l’art. Dans ce didactisme permanent, appuyé, les personnages n’ont aucune existence, aucune épaisseur, on ne croit à rien, pas plus à leurs questionnements qu’aux scènes de l’artiste au travail, plongé dans ses affres et ses doutes. Les situations dans lesquelles l’autrice plonge ses protagonistes sont, là encore, de l’ordre du cliché : le jeune peintre incompris, homosexuel et suicidaire, dont la cote explosera une fois suicidé, la jeune étudiante qui choisit d’entrer dans le moule de l’école en passant de la peinture aux installations « merdiques » (littéralement), les sentiments plus ou moins amoureux du double de l’écrivaine, le harcèlement sexuel par son tuteur, les interventions féministes, justifiées mais qui sonnent si faux. Ces situations ont-elles été vécues ? Peut-être, mais elles sont si laborieusement relatées, et si mal servies par, j’insiste, les dialogues indigents…
Quant à la conversion finale de l’héroïne du roman (donc de l’autrice) de la peinture à l’écriture, je ne suis pas sûr, à la lire, qu’elle fût un bon choix.
Tout cela n’engage bien sûr que moi, comme la critique si enthousiaste de Télérama n’engage que son autrice.
Un doute, pourtant : serais-je passé à côté d’une profondeur littéraire cachée, d’un texte riche sans le dire, d’un sujet fort, de personnages puissants sans le montrer, d’une grande écriture qui n’en a pas l’air ? C’est possible, personne n’est à l’abri de l’erreur judiciaire, et je serais ravi d’entendre la défense…
Décidément, pour comprendre l’art (la peinture, en l’occurrence), son cours (le cours de l’histoire) et ses enjeux, rien de mieux que de lire les artistes (peintres) eux-mêmes. Ceux qui écrivent pour eux et sur eux le font aussi pour les autres, dont l’écriture n’est pas le moyen.
Et n’oublions pas quelques historiens d’art incontournables.
Note : pour remonter le cours du sujet de Carole Fives (le rejet dans les années 2000 de la peinture à l‘école de Beaux-Arts), je ne saurais trop recommander un petit opuscule paru en 1996 aux Éditions Sulliver Pétition à l’Académie des Beaux-Arts pour les étudiants que l’on empêche de dessiner de Sophie Herszkowicz. Je l’évoque déjà dans un ancien article. https://laurent-noel.com/avant-tout-le-dessin, dans le cadre de la fausse réhabilitation, autrement dit de la récupération par ces mêmes institutions de ce dessin qu’elles avaient tant méprisé auparavant. La peinture, apparemment, subit aujourd’hui le même sort : on l’enterre, puis on l’exhume. Pour justifier ce revirement, on la nomme peinture contemporaine.