condition d'artiste

Les vivants et les visuels, tous pour un ?

Je ne mets pas en doute et ne minimise pas le désarroi et la colère des métiers du cinéma, du théâtre, du spectacle « vivant », artistes, techniciens, professions rattachées, etc. Au contraire, je les partage pleinement, comme une condoléance. Mais encore une fois, qui parle des artistes visuels, peintres, sculpteurs, graveurs, etc. ? Le bateau (la galère ?) ne serait-il pas le même ?

 

Barrer de rubans de scène de crime ou de chantier son profil sur les réseaux sociaux pour alerter sur la culture en danger ne fera rien d’autre que se donner une bonne conscience bienveillante, tout comme arborer fièrement le « restez chez vous » permettait de se poser comme un.e bon.ne citoyen.ne se faisant le relai des recommandations officielles. Nous sommes pour la plupart des adultes responsables et savons bien qu’il nous faut faire attention à soi et aux autres. Le répéter sous forme de produits dérivés (à quand les tee-shirts et les mugs « restez chez vous » ?), est-ce bien utile ? Sans doute rassurant de penser qu’ainsi, on fait le bien.

 

Certains pétitionnent à tour de bras, manifestent, mais chacun pour soi, corporativement, communautairement. Les restaurateurs descendent dans la rue un jour, les artistes du spectacle vivant un autre jour, etc. Des actions sporadiques, mais pas d’ensemble, pas de cohésion pour manifester contre l’injustice en général, contre l’absurdité ambiante, le mépris généralisé.

Charles Berling lance un recours et c’est remarquable, courageux, c’est une décision concrète. Mais il n’évoque jamais, une fois de plus, les artistes plasticiens, peintres, sculpteurs, graveurs, etc. Cinéma et théâtre, un point, une barre.

 

Au milieu de tout ça donc, loin de tout ça, tenus à l’écart, les artistes visuels sont oubliés totalement par les mesures gouvernementales, je le disais dans un précédent article, mais aussi par les artistes du spectacle eux-mêmes, qui ne parlent que du « vivant ». Pas vivant, l’art visuel ?  Silencieux, surtout, c’est son drame. Nous crions notre colère en silence.

 

Nous ne ressentons aucun soutien solide. Ceux qui postent des injonctions facebookiennes du genre « achetez aux artistes » ? Non seulement cela me semble un vœu pieux, mais ce n’est pas seulement une question d’argent ! Il faut aussi que nous montrions, que nous nous montrions, que nous confrontions notre travail aux regards d’un public, que nous nous soumettions à la critique, à l’espace, au recul, que nos œuvres aillent se colleter au monde, prennent l’air des yeux des autres.  Exactement comme les acteurs et les musiciens ont besoin de jouer, face au monde, et non par le truchement d’une liaison internet souvent incertaine.

 

Il y a partout dans la culture et ailleurs un dépit, une colère, une contestation rampante, mais elle est divisée, erratique, hétérogène. Il n’y a pas une révolte, un soulèvement contre ce mépris envers l’art (plutôt que la culture) et ses acteurs, contre ces décisions iniques, absurdes, prises pour des raisons fallacieuses et justifiées pas des arguments captieux. Pensez donc, il s’agirait d’éviter le brassage des populations ! Un brassage, comme chacun sait, qui n’existe pas dans les rues commerçantes en ce moment de joie enguirlandée imposé annuellement par le calendrier grégaire… Sauvons Noël, les familles ont besoin de se retrouver, qu’ils disaient.  Hypocrisie, l’économie a besoin d’un peu d’air et d’argent frais.

Tant que les colères ramperont ainsi isolément, les dirigeants mèneront la danse macabre jusqu’au sacrifice humain. Les artistes sont sur l’autel.

La marionnette à fil faisant personnage de ministre de la culture joue, elle, sans vergogne, son spectacle larmoyant dans tous les médias, pleine d’empathie mal feinte pour les artistes. Elle veut nous sauver par ces mesures ? Qu’elle donne l’exemple, qu’elle se sauve plutôt que de nous infliger ses gémissements faussement compréhensifs. Personne n’est dupe.

 

Lydie Salvayre a eu le mot juste dans son livre Marcher jusqu’au soir : ministère du divertissement. Les arts sont considérés comme tels, donc moins essentiels que de fourrer des paquets sous un sapin et de s’empiffrer en famille.

 

Les conférences de presse-spectacle des autorités peuvent se tenir devant un parterre de journalistes bien assis-masqués-un-siège-sur-deux. Mais cinéma théâtre interdits.

(Il faut noter, à ce sujet, que pour se bien faire comprendre, les dirigeants ôtent leur masque au moment où ils parlent aux français. Ce que n’ont pas le droit de faire les professeurs devant leurs élèves.)

Un autre théâtre reste ouvert : celui qui se joue dans les églises. Va comprendre.

 

Les artistes vivent sous les crachats.

 

Malheureusement, écrire tout cela dans mon coin ne changera rien, ce n’est que vanité, autant que la guirlande Culture en danger collée sur nos avatars des réseaux sociaux. Je n’ai même pas bonne conscience. Même pas soulagé. Impuissant. Isolé, désolé. Artiste.

 

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