L’artiste fondateur de la galerie associative, devenu observateur, regarde avec inquiétude le projet initial tomber aux mains de membres de la secte de l’art contemporain, certains embrigadés sans même s’en rendre compte. Une seule artiste dans l’équipe responsable, professeure aux Beaux-Arts. On comprendra pourquoi, désormais, une exposition est réservée annuellement aux étudiants de cette grande école confessionnelle. Il s’agit de coloniser les territoires. Main basse sur tous les lieux. La municipalité, aveuglée et émoustillée par le rapport élogieux d’un cabinet d’études qualifiant l’espace de “bijou”, a embauché un médiateur en contrat aidé. Lequel, consciemment ou non, peut-être de par sa formation, semble totalement en phase avec les fameux enjeux de l’art contemporain. Pour preuve une programmation récente et à venir adhérant complètement aux clichés officiels, le meilleur moyen pour détourner les habitants d’un lieu qu’ils financent pourtant (heureux contribuables), et pour les faire renoncer à poursuivre l’approche de l’art qu’ils avaient amorcée. Les responsables, défendant leur bout de gras et leurs dossiers de demandes de subventions, évoquent un futur rayonnement départemental, voire plus. Assurément, on est en plein dans le moule artistique national, et même international ! Un membre du conseil municipal, réservé, émet l’idée qu’il faudra poser des exigences d’évaluation des objectifs fixés. Mais qui donc va évaluer ces objectifs, et comment ?
On sélectionne maintenant les artistes non plus en allant les voir dans leurs ateliers ou leurs expositions, mais en attendant devant un écran d’ordinateur qu’ils envoient des images de plus ou moins bonne qualité accompagnées d’un beau discours au champ lexical labellisé contemporain. Pas la peine de voir la matière la surface la dimension le grain la vie la présence de l’œuvre, on s’en fout de tout ça. On vote froidement oui ou non sur un tableau Excel, sans pouvoir argumenter ou défendre ou critiquer, etc. Aucun échange, on ne discute pas, je ne veux voir qu’une tête. C’est le règne du j’aime/j’aime pas, c’est à dire la négation de l’objectivité. Pas de délibération lors de l’établissement de la programmation annuelle, aucun critère, aucune grille d’évaluation critique de la qualité créative, de la cohérence d’un travail, de la recherche, de la technique, du parcours, de l’impact sur le public. Exit la diversité. Finies les rencontres associatives animées et chaleureuses où chacun pouvait défendre des artistes, s’enthousiasmer, convaincre ou se laisser convaincre. Pas le temps de tout ça, il faut être efficace, laissons le sensible de côté. Pas grave, nous avons maintenant les moyens pour faire ce que nous voulons et pour placer nos artistes. Nos installations, nos dispositifs envahissent l’espace associatif subventionné. Nous avons gagné. Nous ferons comprendre à tous ces incultes de la campagne que l’art, le seul, le vrai, c’est ça, et que nous détenons la vérité dans ce domaine.
Il aurait été bon que la municipalité s’entoure d’avis contradictoires et autorisés pour établir une politique culturelle qui s’adresserait véritablement aux habitants plutôt qu’à un groupe aux ordres de la nébuleuse contemporaine, tendancieux et raidi sur ses certitudes, qui décline froidement les topiques de l’art le plus officiel.
Sauvée, la galerie ?