Je n’ai trouvé que cette solution : prendre des disques, des livres, et aller vivre à l’atelier le temps qu’il faudra, le temps que retombe le nuage de crétinisme sportif qui recouvre actuellement le monde. Tout le monde. Enfermé dans mes couleurs, dans mes projets, j’essaie de ne pas allumer de radio, ne pas ouvrir de journal. Je sais que cela va durer des semaines. Il me faut seulement peindre, m’isoler encore davantage. Je vais de temps à autre au jardin fréquenter les oiseaux qui sont bien au dessus de ça.
Il me faut bien du courage et de la résignation pour accepter que la plupart des gens que j’estime soient contaminés à leur tour. J’espère qu’ils s’en tireront, que leur maladie n’est que passagère (je crains pourtant qu’elle ne soit chronique, et qu’elle s’aggrave à chaque récidive), qu’ils redescendront piteux et coupables, se rendant compte qu’ils ont participé à la déliquescence du cerveau humain, qui ne réfléchit plus normalement dès qu’il idolâtre ou qu’il se regroupe. Je souffre pour tous ces amis qui hurlent avec le troupeau, qui se jettent dans le précipice de la bêtise médiatique, qui ne savent plus prendre du recul. Je dois absolument me protéger de cette folie contagieuse, qui atteint chaque jour un peu plus d’êtres que j’estimais. Famille, amis, ou bien artistes (peintres, écrivains, musiciens) que j’admire au travers de leur œuvre, pourquoi se fourvoient-ils de la sorte ? (Que Bégaudeau ou Finkielkraut se fendent de commentaires intello-sportifs de bas étage ne m’étonne pas et ne m’inquiète pas, on est habitué, mais que d’autres plus estimables par ailleurs aient ne serait-ce qu’un avis à donner, bon, mauvais, critique, pas critique, sur un joueur, une équipe, un entraîneur, ou n’importe quel nuisible et inutile de ce genre me désespère tout à fait, car ils participent à l’héroïsation délétère de ces crétins, ils contribuent à la progression de l’aveuglement général).
Signe sans doute le plus inquiétant de la profondeur de l’abrutissement : des femmes, nombreuses, sont atteintes également, encouragent, admirent, s’emportent, supportent, crient avec la meute.
Je pars à l’atelier, je n’en peux plus, je me coupe du monde.