travail

Des deux mains

Je pétitionne rarement, voire jamais. Non pas que je me désintéresse des questions soulevées par certaines requêtes, mais je suis souvent retenu par une impression de militantisme aveugle ou alors, même si l’idée générale me touche, certains points particuliers me heurtent qui m’empêchent d’adhérer totalement. Autrement dit, jamais une pétition ne m’a convaincu pleinement, jusqu’à ce jour récent où je reçois le texte de Rémy Aron à propos du respect de la diversité artistique (ICI). De la première à la dernière ligne, je le valide. J’en exclus toute visée politicienne, et le considère exclusivement dans ce qu’il a de politique. Il parle simplement de la place de l’artiste dans la société, mais pas de n’importe quel artiste : l’artiste dans sa diversité.

 

Il est question dans ce texte du dirigisme d’état, des systèmes de subventions orientés, sectaires, de la main mise sur les lieux institutionnels par une forme d’art officiel, de la mise en avant exagérée de cet art d’État, dit contemporain (quelle réduction de sens du mot si l’art d’aujourd’hui se résume à cela) de la disparition de l’enseignement des pratiques fondamentales (manuelles, techniques, de haut niveau) que sont le dessin, la peinture, la sculpture, la gravure. J’aurais ajouté celui de l’histoire de l’art, vidé aujourd’hui de sa substance, puisque qu’avant Duchamp, il n’existerait pas grand-chose…

 

Il dresse un constat limpide sur la situation désespérante de l’art en France aujourd’hui, et de la définition de l’art que l’on voudrait nous imposer.

 

Afin de garantir une véritable diversité, il s’agirait de considérer l’ensemble des champs de la création plastique d’aujourd’hui et de leur attribuer autant d’attention qu’aux privilégiés actuels dans une répartition équitable. Mais est-ce possible ? Il y aura toujours des esprits chagrins (j’en fais actuellement partie !) pour reprocher aux institutions de les ignorer. Indéniablement, l’État s’est forgé une définition de l’artiste qui ne correspond en rien à ce qui se trame réellement au fin fond des ateliers. Ce que demande cette pétition, c’est une abolition de l’académisme actuel.

 

Il faudrait cependant veiller à ne pas le remplacer par un autre académisme, qui serait par exemple celui de la médiocrité, de l’amateurisme, du lieu commun, du relâchement. Faudrait-il en venir à des critères de reconnaissance de qui est un artiste ou non ? Évidemment c’est impossible, puisque l’art porte avec lui une définition individuelle, donc multiple, infinie, plastique. Et c’est bien l’enjeu de cette pétition : dénoncer la définition collective de l’art que l’État veut nous enfoncer dans le crâne en promouvant uniquement le concept, la performance, les disciplines dites émergentes, les dispositifs, le virtuel, le discours, etc., tout en ignorant et en méprisant ce qui fait une part de l’expression humaine depuis des milliers d’années : le pigment sur la surface, le geste à la place de la parole, la compréhension du monde par l’appréhension de la forme, la connaissance de soi (et donc des autres) par l’introspection construite, la transmission de la sensibilité au moyen de traces uniques, tangibles, matiérées, le lien fragile entre la main et la pensée, l’équilibre nécessaire entre le travail manuel et la réflexion intellectuelle.

 

Le temps est paraît-il au débat, libre et sans tabou. Y a-t-il dans les questions imposées par le gouvernement dans ce fameux grand débat biaisé un seul mot sur la culture, la condition des artistes, l’enseignement des arts ?  Rien. Question fermée à double tour.

 

L’impossibilité de définir réellement l’art n’empêche pas certains décideurs de se dire légitimes pour affirmer qu’une catégorie d’artistes bien identifiés seraient donc, selon eux, les dignes et véritables représentants de la création d’aujourd’hui. Les modèles mondialisés. Un récent rapport économique annonçait que les 26 personnes les plus riches  détiennent autant d’argent que la moitié de l’humanité. La proportion est sans doute de cet ordre dans le système artistique français : une poignée d’artistes officiels bénéficient de la plupart des subventions, aides, achats d’état, lieux d’art institutionnels de tout le territoire. Et quand ce n’est pas cette poignée, c’est leurs rejetons, issus du même réseau, réseau qui fait tache d’huile jusqu’au fond des plus petites communes.

 

Mais qu’on ne se méprenne pas, les artistes non-officiels ne demandent pas de l’aide, ne font pas l’aumône aux subventions, ils veulent seulement de la considération, une reconnaissance, de l’attention. Du souci.

Ils ont eux aussi le sentiment d’être oubliés, effacés, comme tous ces gens qui hurlent leur exaspération de se sentir tellement méprisés. Si cette pétition peut aider à donner de la présence et de la visibilité au travail souterrain de tous ceux qui pour vivre et respirer peignent encore, qui sculptent, qui gravent, qui dessinent malgré tout, qui transmettent et qui refusent de se labéliser « contemporains » (au sens officiel du terme) pour que leur art reste indépendant et ne soit pas daté dès sa création, alors je signe.

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